Avec les femmes, l’haltérophilie veut changer son image de sport de mâles
Physique imposant, compétitions fermées aux femmes, si l’haltérophilie a longtemps souffert de son image de sport viril, la discipline veut désormais se montrer comme accessible aux femmes à travers ses athlètes.
A l’INSEP, une semaine avant leurs premiers Jeux Olympiques, Gaëlle Nayo-Ketchanke et Anaïs Michel entament leur dernier stage de préparation. Sous les encouragements de leurs homologues masculins, les haltérophiles françaises soulèvent des haltères pendant deux heures. « Aujourd’hui, l’entraînement est intense », admet Gaëlle. Les jeunes femmes alternent les disques. Cinq kilos, dix kilos, puis 20 kilos. Musclées et athlétiques, Gaëlle et Anaïs impressionnent.
« J’ai évolué avec les garçons »
D’origine camerounaise, Gaëlle Nayo-Ketchanke “tire” les haltères pour la France depuis 2013. « Mon père était entraîneur et ma grande soeur pratiquait, se souvient l’athlète de 27 ans. J’ai commencé à sept ans et j’ai accroché. » Anaïs Michel est elle venue vers l’haltéro à onze ans. « Mon oncle bodybuildeur m’a ‘poussée’ dans une salle. » La première haltérophile qu’Anaïs a vue fut Agata Wrobel, une athlète polonaise double médaillée olympique chez les plus de 75 kgs. « C’était une grosse catégorie. Ça m’avait impressionnée. »
A force de pratique, Anaïs Michel oublie ses idées reçues. « J’ai réalisé que c’était un sport à catégories de poids de corps et qu’il y avait des gabarits variés. » A l’entraînement, les deux jeunes femmes sont apprêtées. Bijoux, vernis fluo aux ongles et même maquillage, Gaëlle n’a jamais eu peur de changer d’apparence. « Dans mon club, il n’y avait aucune femme, j’ai évolué avec les garçons. Je n’ai pas cherché à savoir si j’allais ressembler à un mec plus tard. » Entraîneur de Gaëlle Nayo-Ketchanke, Laurent Pedreno salue l’influence de son athlète sur l’image de l’haltéro en France. « Au-delà de son physique agréable, elle est septième mondiale. Elle fait du bien à la discipline. »
En France, elles sont 31312 à pratiquer la discipline, un tiers du nombre total de licenciés. Le soulevé d’haltères arrive en France au début du 19e siècle, les premières compétitions féminines n’auront lieu qu’en 1947. Il faudra attendre 1986 pour que les Mondiaux s’ouvrent aux femmes. Et ce n’est qu’en 2000, à Sydney, que l’haltérophilie féminine apparaît aux Jeux. « Depuis, il y a une vraie progression de l’haltérophilie féminine en France, se réjouit Vencelas Dabaya, entraîneur national et vice-champion olympique en 2008 à Pékin. C’est désormais le seul sport de force inscrit aux Jeux. »
Sept catégories de poids existent chez les femmes haltérophiles, de -48kgs à +75kgs. Il suffit de mettre côte à côte Anaïs Michel -qui concoure chez les -48kgs- et Gaëlle Nayo-Ketchanke -classée en -75kgs- pour avoir un éventail des gabarits. Côté taille, Gaëlle Nayo-Ketchanke fait néanmoins figure d’exception. « Les haltérophiles ne sont pas aussi élancées que moi, précise l’athlète d’1m74. Elles sont musclées mais tassées. » De ses huit années de pratique de l’athlétisme, la vice-championne d’Europe 2016 a gardé sa silhouette de sprinteuse. Mais pas sûr que cela soit un avantage. « J’ai de grands bras donc j’ai plus de chemin à faire pour lever les haltères » plaisante t-elle.
Quand le crossfit rend l’haltérophilie plus populaire
L’haltérophilie a longtemps souffert d’une image de sport viril, selon Anaïs Michel, mais cela change. « Maintenant, il y a un côté esthétique dans le fait d’être athlétique. » La discipline a tiré parti du succès du crossfit, une méthode d’entraînement qui combine force athlétique, haltérophilie, gymnastique et sports d’endurance. « Les crossfitters sont très présents sur les réseaux sociaux. Ils nous sollicitent pour la technique et ça fait parler d’haltérophilie. » Le crossfit a plus de pratiquantes que l’haltérophilie, souligne Vencelas Dabaya. « C’est à nous de trouver des arguments pour attirer les crossfitters. »
Selon Gaëlle Nayo-Ketchanke, l’haltérophilie peut se développer mais il est nécessaire de casser les idées reçues. « Quand tu expliques que tu fais de l’haltérophilie, les gens entendent ‘musculation’. “Il faudrait peut-être expliquer la discipline au grand public. » Dans son clun, le Clermont Haltérophilie Sports, Gaëlle expérimente l’intérêt pour sa discipline. « Mon club est dans une petite ville mais on communique et les médias locaux parlent de nous. Bref, quand on veut on peut. »
Contre le dopage, « les pays doivent faire le travail »
Pour l’athlète française, les instances doivent aussi faire le travail pour attirer le public vers la discipline. D’après le rapport McLaren, qui a dévoilé le système de dopage d’Etat mis en place en Russie, l’haltérophilie était le deuxième sport le plus touché dans cette affaire. Le CIO avait laissé à la fédération le choix de la sanction. « On veut lutter contre le dopage mais comment les dopés vont arrêter s’ils ne sont pas sanctionnés ?”, regrettait alors Gaëlle Nayo. A quelques jours des Jeux, la Fédération Internationale d’haltérophilie a finalement exclu les huit athlètes russes qualifiés pour Rio. Les pays de l’Europe de l’Est dominent la discipline. « Ils ont développé une rigueur d’entraînement et une culture de la gagne. Contrairement à nous, elles sont donc mieux armées pour aller chercher des médailles, explique Vencelas Dabaya. En France, le sport n’est pas très développé. Et nous n’avons pas les mêmes outils pour garder la motivation. » Cette motivation, Gaëlle Nayo l’a. « Mes rivales aux Jeux ? Non, je laisse mon entraîneur regarder ça. Et conclut, rieuse : “Je préfère me concentrer sur mes performances. »
Propos recueillis par Assia Hamdi
Copyright photo : Charles Chevillard
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